Quand la géographie structure la régulation des télécoms

Quand la géographie structure la régulation des télécoms

Depuis les années 1990, le modèle de régulation qui prévaut en Europe est celui de la concurrence. Concurrence au niveau des services, mais aussi au niveau des infrastructures, chaque fois que ceci est possible. Ce modèle est adapté aux métropoles, mais devient de moins en moins pertinent quand on aborde des agglomérations plus petites ou des zones rurales. Le contrepoids au manque d’appétence d’investisseurs privés pour les infrastructures de fibre optique est en général assuré par une initiative publique, consistant soit à créer un réseau de toutes pièces, soit à en subventionner un. Entre la double nécessité d’apporter le très haut débit à toute la population européenne et de respecter les règles sur les aides d’Etat pour ne pas distordre le marché unique, la définition des zones géographiques en termes de régime de concurrence en matière d’infrastructures de très haut débit est un point d’harmonisation identifié comme crucial par le nouveau Code européen des communications électroniques (CECE). La définition détaillée des études géographiques nécessaires à la définition des modes de concurrence zone par zone a été confiée par le législateur européen à l’ORECE, office des régulateurs européens des communications électroniques, plus connu sous l’acronyme anglais de BEREC.

L’article 22 du CECE (voir en annexe) enjoint les régulateurs de procéder avant fin 2023 au relevé de la couverture des réseaux en communications électroniques. Cet article ajoute : « Au plus tard le 21 juin 2020, afin de contribuer à l’application cohérente des relevés géographiques et des prévisions, l’ORECE publie, après consultation des parties prenantes et en étroite coopération avec la Commission et les autorités nationales concernées, des lignes directrices destinées à aider les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes à mettre en œuvre de manière cohérente leurs obligations au titre du présent article. »

Comme indiqué à l’article 22, les résultats des études géographiques peuvent être utilisés par les régulateurs à plusieurs fins ou fonctions, en particulier :

  • pour l’application des règles relatives aux aides d’État ;
  • Pour désigner une zone avec des limites territoriales claires où aucune entreprise ou autorité publique n’a déployé ou ne prévoit de déployer un réseau à très haut débit (d’au moins 100 Mbps ;
  • pour vérifier la disponibilité des services relevant des obligations de service universel ;
  • Pour l’allocation de fonds publics pour le déploiement de réseaux de communications électroniques et la conception de plans nationaux de haut débit, y compris également une identification adéquate des zones de défaillance du marché ;
  • Pour définir les obligations de couverture attachées aux droits d’utilisation du spectre radioélectrique ;
  • Pour la mise à disposition sur le marché, (s’ils ne sont pas déjà disponibles) d’outils d’information permettant aux utilisateurs finaux de déterminer la disponibilité de la connectivité dans différentes zones, avec un niveau de détail suffisant pour soutenir leur choix d’opérateur ou de fournisseur de services ;
  • le cas échéant, lors de la définition des marchés géographiques pertinents ;
  • d’imposer des obligations de service universel appropriées ;
  • Pour mettre les résultats de l’enquête à la disposition du BEREC et de la Commission européenne.

Les lignes directrices doivent fournir aux régulateurs :

  1. la spécification des données pertinentes à produire,
  2. des conseils sur la manière de collecter ces données,
  3. des conseils sur la manière d’agréger ces données,
  4. des conseils sur les données considérées comme publiques ou confidentielles
  5. des conseils sur la procédure permettant d’identifier les intentions des agents de déployer le très haut débit.

Les concepts retenus sont, pour le haut débit fixe,

  1. le concept de domiciles raccordables (homes passed),
  2. vitesse de téléchargement descendant et montant,
  3. la technologie d’accès utilisée et
  4. une haute résolution des données de cartographie (distinguant la couverture de chaque adresse).

Pour le haut débit mobile, ces points d’information et caractéristiques clés sont :

  1. la disponibilité du service haut débit dans une certaine zone,
  2. vitesse de téléchargement descendant et montant,
  3. l’emplacement de l’utilisateur et
  4. une haute résolution des données de cartographie (par carrés de 100 m de côté).

La méthodologie retenue distingue trois approches successives de la qualité de service :

QoS-1 : disponibilité calculée du service – Performance théorique du réseau de l’infrastructure existante ;

QoS-2 : prestation de service mesurée – Mesures via des sondes, à l’exclusion de l’environnement de l’utilisateur final ;

QoS-3 : Expérience mesurée du service – Mesures utilisant un service d’accès Internet, y compris l’environnement de l’utilisateur final, par exemple via des tests de vitesse en ligne.

Le BEREC a procédé à pas moins de trois consultations publiques pour la mise au point de ces lignes directrices. La plus importante d’entre elles, intervenue du 10 octobre au 21 novembre 2019, a recueilli neuf contributions d’associations d’opérateurs, sept d’opérateurs, quatre d’administrations et deux émanant d’experts. Outre les contributions d’acteurs mondiaux ou pan-européens, les contributions émanaient des pays suivants : Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark Allemagne, Irlande, Italie, Pays-Bas. Si l’on met à part le Danemark, où l’administration concernée demandait des précisions sur le mode de calcul des débits, et les Pays-Bas, où les opérateurs intégrés fixes/mobiles reprochaient au BEREC d’aller sur certains points au -delà de son mandat, les contributions émanent en général de pays où le VDSL a longtemps conduit, au moins dans une partie du pays, à repousser l’urgence de déployer la fibre optique. En revanche, la consultation publique n’a attiré aucune contribution de Suède, de France, d’Espagne ou du Portugal, pays où le déploiement du très haut débit est suffisamment avancé pour que les débats créés par ces études géographiques soient considérés comme passés par les acteurs concernés.

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Annexe – Code européen des communications électroniques – Article 22 – Relevés géographiques des déploiements de réseau

1.Les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes procèdent à un relevé géographique de la couverture des réseaux de communications électroniques capables de fournir des connexions à haut débit (ci-après dénommés « réseaux à haut débit ») au plus tard le 21 décembre 2023 et l’actualisent au moins tous les trois ans par la suite.

Le relevé géographique comprend un relevé de la couverture géographique actuelle des réseaux à haut débit sur leur territoire, comme cela est exigé pour les tâches des autorités nationales de régulation et/ou des autres autorités compétentes prévues par la présente directive et pour les relevés requis pour l’application des règles relatives aux aides d’État.

Le relevé géographique peut également inclure des prévisions pour une durée déterminée par l’autorité concernée en ce qui concerne la couverture des réseaux à haut débit, y compris des réseaux à très haute capacité, sur leur territoire.

Ces prévisions comprennent toutes les informations utiles, y compris des informations sur les déploiements, prévus par toute entreprise ou autorité publique, de réseaux à très haute capacité et les mises à niveau ou les extensions importantes de réseaux visant à offrir un débit descendant d’au moins 100 Mbps. À cette fin, les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes demandent aux entreprises et aux autorités publiques de fournir ces informations dans la mesure où elles sont disponibles et peuvent être fournies moyennant des efforts raisonnables.

L’autorité de régulation nationale décide, en ce qui concerne les tâches qui lui sont spécifiquement attribuées au titre de la présente directive, de la mesure dans laquelle il convient de s’appuyer sur tout ou partie des informations collectées dans le cadre de ces prévisions.

Lorsqu’un relevé géographique n’est pas effectué par l’autorité de régulation nationale, il est réalisé en coopération avec cette autorité dans la mesure où il peut s’avérer utile à l’exécution de ses tâches.

Les informations recueillies dans le cadre du relevé géographique sont caractérisées par un niveau de détail approprié sur le plan local et comprennent suffisamment d’informations sur la qualité de service et ses paramètres, et elles sont traitées conformément à l’article 20, paragraphe 3.

2.Les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes peuvent désigner une zone aux limites territoriales claires où, sur la base des informations recueillies et de toutes prévisions élaborées en application du paragraphe 1, il est établi que, pour la durée de la période couverte par les prévisions concernée, aucune entreprise ou autorité publique n’a déployé ni ne prévoit de déployer de réseau à très haute capacité, ou ne prévoit de procéder à une mise à niveau ou à une extension importante de son réseau pour offrir un débit descendant d’au moins 100 Mbps. Les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes publient la liste des zones désignées.

3.À l’intérieur d’une zone désignée, les autorités concernées peuvent inviter les entreprises et les autorités publiques à déclarer leur intention d’y déployer des réseaux à très haute capacité au cours de la période couverte par les prévisions concernées. Lorsque cette invitation donne lieu à une déclaration d’intention en ce sens de la part d’une entreprise ou d’une autorité publique, l’autorité concernée peut demander à d’autres entreprises et autorités publiques de déclarer leur intention éventuelle de déployer des réseaux à très haute capacité dans la zone en question, ou d’y procéder à une mise à niveau ou à une extension importante de leur réseau pour offrir un débit descendant d’au moins 100 Mbps. L’autorité concernée précise les informations à inclure dans ces déclarations, afin que leur niveau de détail atteigne au moins celui pris en considération dans toute prévision faite en vertu du paragraphe 1. Elle indique également à toute entreprise ou autorité publique manifestant son intérêt si la zone désignée est couverte ou susceptible d’être couverte par un réseau d’accès de nouvelle génération offrant un débit descendant inférieur à 100 Mbps sur le fondement des informations recueillies en application du paragraphe 1.

4.Les mesures prises en application du paragraphe 3 doivent l’être conformément à une procédure efficace, objective, transparente et non discriminatoire, qui n’exclut aucune entreprise a priori.

5.Les États membres veillent à ce que les autorités de régulation nationales et les autres autorités compétentes, et les autorités locales, régionales et nationales investies de responsabilités en ce qui concerne l’attribution de fonds publics pour le déploiement de réseaux de communications électroniques, la conception de programmes nationaux dans le domaine du haut débit, la définition des obligations de couverture dont sont assortis les droits d’utilisation du spectre radioélectrique et la vérification de la disponibilité des services relevant des obligations de service universel sur leur territoire, tiennent compte des résultats du relevé géographique effectué et de toute zone désignée en vertu des paragraphes 1, 2 et 3.

Les États membres veillent à ce que les autorités procédant au relevé géographique communiquent ces résultats, sous réserve que l’autorité qui les reçoit assure le même niveau de confidentialité et de protection des secrets d’affaires que l’autorité qui les fournit, et informent les parties qui ont fourni les informations. Ces résultats sont également mis à la disposition de l’ORECE et de la Commission, à leur demande et dans les mêmes conditions.

6.Si les informations pertinentes ne sont pas disponibles sur le marché, les autorités compétentes rendent les données provenant des relevés géographiques qui ne sont pas soumises à la confidentialité des informations commerciales directement accessibles conformément à la directive 2003/98/CE afin de permettre leur réutilisation. Lorsque de tels outils ne sont pas disponibles sur le marché, elles mettent également à la disposition des utilisateurs finaux des outils d’information leur permettant de déterminer la disponibilité de la connectivité dans les différentes zones, avec un niveau de détail utile pour faciliter leur choix d’opérateur ou de fournisseur de services.

7.Au plus tard le 21 juin 2020, afin de contribuer à l’application cohérente des relevés géographiques et des prévisions, l’ORECE publie, après consultation des parties prenantes et en étroite coopération avec la Commission et les autorités nationales concernées, des lignes directrices destinées à aider les autorités de régulation nationales et/ou les autres autorités compétentes à mettre en œuvre de manière cohérente leurs obligations au titre du présent article.

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