5G : quelles exigences de déploiement en Europe ?

5G : quelles exigences de déploiement en Europe ?

De 2018 à 2020, les états européens sont en train d’attribuer et de réattribuer aux opérateurs mobiles les fréquences radio nécessaires au déploiement de la 5G. A l’origine, les fréquences radio étaient attribuées aux opérateurs pour une technologie déterminée. Maintenant, les opérateurs sont libres de les utiliser avec la technologie de leur choix. Ces fréquences sont attribuées sous une procédure d’enchères, assorties d’un engagement de respecter un cahier des charges de déploiement et éventuellement de partage de l’usage de ces fréquences avec d’autres opérateurs.

La plupart des journaux font leurs titres sur le montant des enchères. Nous ne nous intéresserons pas ici à cette question mais seulement aux exigences de déploiement que trois gouvernements européens ont attaché à leur plus récente attribution de fréquences aux opérateurs.

Modeste Italie

En Italie, les exigences de débit et de couverture applicables à chaque opérateur sont modestes, mais précoces : « Dans les 36 mois suivant la disponibilité nominale des fréquences, chaque soumissionnaire des bandes de fréquences de la bande 700 MHz FDD est tenu de démarrer le service commercial, tel que défini à l’art. 11, paragraphe 2, utile pour répondre aux exigences de fonctionnement standard requises pour permettre à au moins 80% de la population nationale d’utiliser correctement, de manière raisonnable dans l’environnement intérieur, les services 5G, de manière à garantir le développement d’applications pour tous scénarios d’utilisation attendus mMTC [massive Machine Type Communication], URLLC [ultra-reliable Machine Type Communication], eMBB [enhanced Multimedia BroadBand], garantissant toutefois dans ce dernier cas une vitesse de téléchargement nominale non inférieure à 30 Mbps. La couverture doit en tout état de cause couvrir toutes les municipalités de plus de 30 000 habitants et toutes les capitales de province. » Cette exigence individuelle est complétée par une exigence collective de couverture de 99,4% de la population à atteindre par des accords de co-déploiement entre opérateurs.

Cette exigence de couverture de la population est complétée par une exigence de couverture des autoroutes, des routes nationales et des lignes de chemin de fer à grande vitesse: “Dans les 42 mois suivant la disponibilité nominale des fréquences, les soumissionnaires des lots de fréquences FDD de 700 MHz de manière collective, par accord mutuel dans le respect des règles de concurrence, sont tenus de couvrir tous les principaux itinéraires de transport routier et ferroviaire nationaux. à désigner respectivement comme les autoroutes, définies selon la classification du code de la route, et les lignes de chemin de fer à grande vitesse, telles que définies par le décret législatif du 8 octobre 2010, n. 191, y compris les gares qui leur sont connectées, ainsi que les lignes nationales de chemin de fer et les lignes de chemin de fer faisant partie des corridors identifiés au niveau communautaire, conformément aux dispositions du règlement (UE) no. 1316/2013.

Modestissime Suisse

En Suisse, le débit garanti à chaque utilisateur n’est même pas spécifié, le délai et le % de la population à couvrir est encore moins exigeant : « Les concessions garantissent que les fréquences attribuées sont utilisées pour fournir des services de télécommunication mobile. En outre, elles définissent des conditions pour la desserte de la population en services de radiocommunication mobile :

  • Si les droits d’utilisation concédés concernent des fréquences FDD de 700 MHz (catégorie A), le concessionnaire est tenu de desservir, au plus tard le 31 décembre 2024, au moins 50% de la population de la Suisse en services de communication mobile au moyen de sa propre infrastructure.
  • Si les droits d’utilisation concédés ne concernent pas de fréquences FDD de 700 MHz, le concessionnaire est tenu de desservir, au plus tard le 31 décembre 2024, au moins 25% de la population de la Suisse en services de communication mobile au moyen de sa propre infrastructure. »

Le partage d’infrastructures entre opérateurs est limité aux sites non-urbains : « Lors de la mise en place et de l’exploitation des emplacements de ses émetteurs, le concessionnaire met tout en œuvre pour permettre la co-utilisation de ces emplacements pour d’autres buts qui requièrent une implantation en dehors de la zone à bâtir. Si l’emplacement se situe en dehors des zones à bâtir, le concessionnaire est en outre tenu d’utiliser les emplacements, les bâtiments ou les installations exploités par d’autres concessionnaires, dans la mesure où ceux-ci disposent de capacités suffisantes. »

Pour les autorités suisses, c’est la concurrence et non l’exigence gouvernementale qui déterminera in fine le taux de couverture : « En fin de compte, c’est la concurrence entre les opérateurs qui assurera une desserte de la population en services de téléphonie mobile la plus ample possible, au-delà des exigences minimales, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. »

Deutschland über alles ?

En Allemagne, en revanche, les exigences sont sorties renforcées de la dernière consultation régulateur, intervenue à l’automne dernier : « Les exigences de déploiement suivantes sont définies avec les paramètres de qualité appropriés:

  • au moins 98% des ménages par Land d’au moins 100 Mbit / s d’ici la fin de 2022,
  • d’ici à la fin de 2022, toutes les autoroutes fédérales avec une latence d’au moins 100 Mbit/s et d’au plus 10 millisecondes (ms),
  • d’ici à la fin de 2022, les routes fédérales avec des niveaux de fonction de connexion de zéro ou un avec au moins 100 Mbit/s et au plus 10 millisecondes en latence,
  • d’ici à la fin de 2024, toutes les autres routes fédérales ayant une latence d’au moins 100 Mbit/s et d’au plus 10 ms,
  • d’ici à la fin de 2024, toutes les routes régionales et publiques d’au moins 50 Mbit/s,
  • d’ici à la fin de 2024, les ports maritimes et le réseau central de voies de navigation intérieures avec au moins 50 Mbit/s,
  • d’ici à la fin de 2022, les voies de chemins de fer comptant plus de 2 000 passagers par jour avec au moins 100 Mbit/s,
  • desservir tous les autres voies de chemins de fer à au moins 50 Mbit/s d’ici la fin de 2024, ainsi que d’ici la fin de 2022
  • 1 000 « stations de base 5G » et
  • Mettre en service 500 stations de base avec au moins 100 Mbps dans des « zones blanches ». »

Ces exigences de déploiement strictes peuvent être quelque peu atténuées par des accords de déploiements communs et d’itinérance: «Le partage d’infrastructure et l’itinérance peuvent contribuer à une meilleure couverture de la téléphonie mobile. Les titulaires d’attribution de fréquences peuvent conclure des accords de coopération pour l’expansion commune d’un réseau économique (« partage de la charge ») dans le respect du droit de la concurrence et du droit de la concurrence. Du point de vue de la Chambre présidentielle [de la BNetzA], il est pertinent d’utiliser le partage des infrastructures pour une expansion du réseau rentable afin d’améliorer l’offre rurale dans les zones où il n’y a pas eu d’expansion du réseau et ne se produirait pas dans un avenir proche. L’itinérance peut également contribuer à une meilleure couverture de surface. Les opérateurs de réseau sont également soumis à une obligation de négociation. « 

La presse d’outre-Rhin dit que le sentiment général est que ces objectifs de déploiements sont trop ambitieux pour pouvoir être atteints et qu’ils ne peuvent l’être qu’en mobilisant toutes les fréquences attribuées, notamment celles de la 4G attribuées en 2015. Cependant, les deux principaux opérateurs (Deutsche Telekom et Vodafone) accepteraient les conditions, quitte à mettre le régulateur devant le « fait inaccompli » le moment venu. Le troisième opérateur, Telefonica O2, a en revanche porté plainte devant le Tribunal Administratif de Cologne pour tenter de bloquer la procédure de mise aux enchères des fréquences. Vodafone, qui a déjà racheté une partie du câble allemand (Kabel Deutschland, en 2014) et qui a demandé en 2018 l’autorisation d’en racheter une part plus grande encore (Unitymedia, filiale de Liberty Global) et bien sûr Deutsche Telekom disposent en tout cas d’un réseau fixe utilisable pour le transit vers le segment radio, ce qui est beaucoup moins le cas pour Telefonica O2.

Une autre caractéristique de l’approche allemande est que sept exigences sur dix concernent la couverture 5G en mobilité : autoroutes, routes, voies ferrées, voies navigables devront bénéficier de la 5G, avec les mêmes débits qu’à la maison (100 Mbit/s) et avec une latence de 10 millisecondes. Il y a là une politique industrielle de la 5G pour les transports à ce jour sans équivalent en Europe.

Et la France ?

Qu’attendre des exigences françaises ? De programme zones blanches en new deal mobile, les opérateurs français ont l’habitude que les exigences politiques en matière de déploiement soient revisitées sans attendre la fin des périodes d’attribution des fréquences. On peut compter sur le gouvernement et les collectivités locales pour continuer à mettre la pression sur les déploiements 5G comme cela a été le cas sur les déploiements 3G et 4G. En revanche, on ne sait pas encore quel sera le niveau d’exigence en matière de déploiement sur les axes de transport. Le réseau routier français est beaucoup plus dense que le réseau allemand, mais cela ne suffirait pas à justifier un manque d’intérêt pour la 5G en mobilité. A entendre le Président de l’ARCEP, Sébastien Soriano : « En Allemagne, Siemens et BMW font le siège devant notre homologue pour vite avoir les fréquences 5G pour des véhicules et usines connectées, de la smart city. On va dire que moi je n’ai pas franchement Alstom et Renault qui font le pied de grue en bas de l’Arcep. Pour autant on ne veut pas préjuger, à eux de se mobiliser pendant la consultation publique ». L’industrie française des transports serait-elle en train de rater l’opportunité de la 5G qui se forge outre-Rhin ?