Un pas en avant dans la lutte contre les appels frauduleux

Un pas en avant dans la lutte contre les appels frauduleux

Le 6 décembre 2018, après 3h et 50 minutes d’un débat intense, les députés ont, par 79 voix (représentant quasiment tous les partis) contre 1, adopté la proposition de loi du député UDI Christophe Naegelen, dite PPL Naegelen, relative à l’encadrement du démarchage téléphonique et à la lutte contre les appels frauduleux. Nous réservons nos propos sur le démarchage téléphonique pour un prochain post et nous intéressons aujourd’hui à la lutte contre les appels frauduleux, en l’occurrence vers les services à valeur ajoutée, objets des articles 6 et 7 de cette proposition de loi.

Article L. 224-46 – Les opérateurs de SVA peuvent agir

L’article 6 vient modifier les articles L. 224-46, L. 224-47 et L. 224-51 du Code de la Consommation. L’article L. 224-46 en vigueur stipule que les contrats entre les opérateurs de SVA et leurs clients éditeurs de contenus doivent comprendre des clauses prévoyant, sous peine de suspension du numéro SVA concerné, ou en cas de réitération, de résiliation du contrat, que l’éditeur doit informer l’opérateur de toute modification à porter à l’annuaire inversé des SVA (www.infosva.org).

Les modifications apportées par l’article 6 I A de la PPL Naegelen ajoutent à ces dispositions les motifs de suspension ou de résiliation suivants : « 1. Si aucun produit ou service réel n’est accessible à ce numéro ; 2. Si le produit ou service accessible à ce numéro fait partie de ceux que l’opérateur exclut au titre de ses règles déontologiques. » Une remarque sur ce texte : les suspensions ou résiliations prévues semblent, pour l’opérateur, facultatives : « … la suspension de l’accès aux numéros concernés, qui peut être suivie de la résiliation du contrat en cas de réitération, … ». Il n’est pas écrit que la suspension doive être suivie d’une résiliation en cas de réitération.

Article L. 224-47 I : les opérateurs de SVA doivent agir

L’article 6 I B de la PPL votée le 6 décembre réécrit complètement l’article L. 224-47, dont le I commence en revanche par les mots : « L’opérateur mentionné au premier alinéa de l’article L. 224-43 procède à la suspension de l’accès au numéro et, le cas échéant, à la résiliation prévues à l’article L. 224-46 dans les cas suivants : ». L’opérateur n’a ici plus le choix. Est-ce bien raisonnable ? N’y a-t-il pas, parmi les éditeurs de SVA, des gens de bonne foi exploitant des services dont « un ou plusieurs des renseignements devant figurer dans l’outil sont absents, inexacts, obsolètes ou incomplets » ? Il est certes nécessaire de lutter avec vigueur contre les abus, mais le texte voté placerait les opérateurs en situation fort inconfortable en cas d’erreur vénielle d’un éditeur de bonne foi.

Article L. 224-47 II : les autres opérateurs peuvent agir

Le II de l’article L. 224-47 voté le 6 décembre donne aux autres opérateurs de la chaine de valeur (l’opérateur de boucle locale départ, l’opérateur de transit ou de collecte) la possibilité, en cas d’inaction de l’opérateur du numéro SVA concerné, de suspendre le numéro ou résilier le contrat, mais cette possibilité n’est offerte qu’après en avoir informé l’opérateur de SVA. Le texte prévoit des égards entre opérateurs qu’il n’envisage pas envers les éditeurs.

Article L. 224-47 III : signaler un SVA par le web

Le III de l’article L. 224-47 voté le 6 décembre définit l’outil de signalements accessible à partir du site web de l’annuaire inversé des SVA (www.infosva.org). Le consommateur doit ainsi pouvoir décrire : « 1. Une inexactitude sur les informations présentes dans l’outil ; 2. Une préoccupation sur la déontologie du service associé ; 3. Un problème relatif au contact auquel le consommateur doit pouvoir adresser ses réclamations. ». Cette énumération est la bienvenue, mais elle mériterait d’être complétée quant à une cause majeure des dérives liées aux SVA : les manquements aux obligations ou les infractions aux interdictions concernant la publicité en faveur des SVA.

Article L. 224-51 : signaler un SVA par SMS au 33700

Enfin l’article 6 de la PPL Naegelen se conclut par un ajout à l’article L. 224-51 du Code, qui traite d’un autre canal de signalements, ceux qui sont effectués par l’envoi par le consommateur d’un SMS au 37700. Cet ajout est le suivant : « Ce dispositif permet en outre de certifier le signalement afin d’en garantir la fiabilité et d’en faciliter le suivi. ». L’idée de certifier les signalements semble excellente, mais que signifie exactement cette expression ? S’agit-il d’authentifier l’auteur du signalement et/ou de vérifier l’exactitude de son contenu ?

Qu’est-ce que certifier un signalement?

L’émetteur d’un SMS envoyé au 33700, visé par l’ajout à l’article L. 224-51, est a priori le titulaire ou le bénéficiaire du téléphone mobile utilisé pour envoyer le SMS. Mais le contenu des SMS est pauvre et non structuré, ce qui rend le contenu de ces signalements peu utilisables. Le dispositif actuel de signalements du site infosva.org, qui n’est pas visé par la démarche de certification de la PPL Naegelen, met en œuvre l’authentification à deux facteurs et permet de certifier le signalement des signalants volontaires (c’est-à-dire acceptant d’être recontactés). La proposition de loi ne conduirait-elle pas à supprimer ce choix laissé au consommateur, afin que tout signalement puisse être certifié ? En tout cas, une telle interprétation conduirait à authentifier le titulaire ou le bénéficiaire de l’abonnement téléphonique utilisé par l’auteur du signalement à défaut d’authentifier ce dernier. Les contenus de ce deuxième type de signalements sont riches et structurés par de nombreuses questions aux réponses obligatoires.

Que le contenu du signalement soit pauvre ou riche, sa vérification est en revanche une chose complexe car, pour être vérifiés, les faits signalés doivent soit avoir été enregistrés d’une manière non contestable, soit pouvoir être reproduits d’une manière non contestable. S’il faut faire reproduire les faits dans des conditions incontestables (par exemple par un huissier) pour certifier le signalement, c’est une démarche coûteuse, dont le coût serait même exorbitant s’il devait être appliqué à tous les signalements. Cela signifie aussi que le signalement en lui-même n’est pas certifiable, qu’il n’est donc qu’un indice. S’il faut que le contenu du signalement soit certifié, cela implique donc que les faits aient été enregistrés de manière incontestable. Il y a certes beaucoup de possibilités de constitution de pièces à conviction sur un smartphone : photographies, copie d’écran, enregistrement de conversations téléphoniques, … mais ces possibilités techniques portent des problèmes d’ergonomie et de respect des données personnelles : le consommateur, s’il enregistre une conversation avec un service, devrait-il en prévenir son interlocuteur ?

Une conclusion provisoire sur la certification des signalements serait donc que les auteurs des signalements (entendus comme les titulaires ou bénéficiaires habituels d’un numéro de téléphone) sont déjà de fait certifiés, ce que la loi pourrait rendre obligatoire, mais que la certification que le contenu d’un signalement est bien exact parait un but difficile à envisager en l’état actuel du débat.

L. 524-3: la DGCCRF pourra saisir le juge pour éliminer
un acteur indésirable  

Enfin, l’article 7 de la PPL Naegelen ajoute un alinéa à l’article L524-3 du Code, en prévoyant que la DGCCRF « peut demander à l’autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête aux fournisseurs d’un service téléphonique au public, au sens du 7° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, ainsi qu’aux opérateurs de communications électroniques, au sens du 6° du même article L. 32, exploitant un numéro à valeur ajoutée toutes mesures proportionnées propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par un service à valeur ajoutée ». Ce dispositif aurait l’immense mérite de donner une assise judiciaire, et non comme aujourd’hui contractuelle, à la résiliation de contrats entre les opérateurs de SVA et les éditeurs. Cette décision difficile à prendre par un opérateur, peut attendre les quinze jours que prend en général une procédure de référé, suivis de quinze jours de délibéré, suivis eux-mêmes de quinze jours de délai de l’injonction du tribunal aux opérateurs. En revanche, appliquée à la suspension d’un numéro, mesure en générale prise par l’opérateur avec un délai très court, mais de peu de portée car le service peut redémarrer aussitôt sur un autre numéro, la mise en œuvre de l’article 7 de la PPL serait trop lourde et trop lente.

La PPL Naegelen, qui n’est pas soumise à la procédure d’urgence, doit maintenant être examinée par le Sénat, avant une deuxième lecture par chaque assemblée. Il reste donc, au-delà de l’excellent travail des députés, des points à améliorer par ces travaux parlementaires à venir.