Le Conseil d’Etat manque une occasion de promouvoir une meilleure coopération entre l’ARCEP et la DGCCRF

Le Conseil d’Etat manque une occasion de promouvoir une meilleure coopération entre l’ARCEP et la DGCCRF

Un arrêt du Conseil d’Etat vient de donner raison à l’association française de la relation client (AFRC) et au syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) qui reprochaient à l’ARCEP de cantonner les appels de démarchage téléphonique utilisant la numérotation prédictive à certaines tranches de numérotation. Le Conseil ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la mesure, mais sur la compétence de l’ARCEP à prendre une disposition qui relèverait des ministres en charge de la consommation et des communications électroniques. On peut regretter que le Conseil n’ait pas saisi l’occasion de promouvoir une authentique coopération de l’ensemble des administrations concernées sur un sujet aussi complexe et transverse.

1        Les sections annulées des décisions ARCEP n°18-0881 et 19-0954

1.1       Sections annulées relevant de la condition de territorialité des numéros

« Plan de numérotation – § 2.2.2. b) Condition de territorialité

« Lorsqu’un numéro de téléphone français est utilisé comme identifiant d’appelant présenté à l’appelé ou comme identifiant d’émetteur présenté au destinataire du message, les appels ou messages SMS/MMS ne doivent pas être émis par des utilisateurs finaux localisés en dehors du territoire français ni être acheminés au travers d’une interconnexion internationale entrante sauf si l’opérateur exploitant le numéro utilisé en tant qu’identifiant d’appelant ou d’émetteur de messages est en mesure de garantir, notamment aux autres opérateurs, appel par appel et message par message que les conditions d’utilisation définies au 2.2.2a) sont respectées.

Cette disposition s’applique à toutes les catégories de numéros à l’exception de celles pour lesquelles une dérogation est explicitement prévue au titre des conditions particulières ou spécifiques d’utilisation définies ci-après. Dans ce cas, les conditions d’utilisation (cf. 2.2.2a) ) restent applicables aux numéros français utilisés comme identifiant d’appelant présenté à l’appelé pour les appels ou comme identifiant de l’expéditeur présenté au destinataire des messages SMS/MMS émis par des utilisateurs finaux localisés hors du territoire français. »

1.2       Sections annulées s’appliquant aux systèmes automatisés

Plan de numérotation – § 2.3.2. e) Protection contre les appels et messages émis par des systèmes automatisés

« On désigne par « systèmes automatisés d’appels et d’envoi de messages SMS/MMS », les systèmes émettant des appels ou des SMS/MMS de manière automatique vers plusieurs destinataires conformément aux instructions établies pour ce système.

À compter du 1er août 2019, les numéros territorialisés, à l’exception de ceux pour lesquels une dérogation est prévue dans les conditions spécifiques, ne peuvent être utilisés comment identifiant de l’appelant présenté à l’appelé pour des appels ou des messages émis par des systèmes automatisés d’appels et d’envoi de messages SMS/MMS.

Cette interdiction ne s’applique pas :

  • aux systèmes automatisés qui émettent des appels ou messages à l’intention de 5 numéros de téléphones différents ou moins ;
  • aux systèmes automatisés pour lesquels le nombre de messages SMS/MMS émis est équivalent ou inférieur au nombre de messages reçus ;
  • aux systèmes automatisés pour lesquels le nombre d’appels émis est significativement inférieur au nombre d’appels reçus.

Dans ce cadre, l’Autorité recommande aux opérateurs de prendre les mesures nécessaires, par exemple en mettant en œuvre sur leur réseau des dispositifs techniques et en insérant des clauses dans leurs contrats, leur permettant d’interrompre l’acheminement des appels et des messages SMS/MMS émis au départ de leurs réseaux, transitant à travers eux ou terminés sur ceux-ci qui présentent l’un des numéros territorialisés susmentionnés comme identifiant d’appelant dès lors qu’il apparaît, au regard notamment des caractéristiques du flux d’appels, qu’ils sont émis par un ou plusieurs systèmes automatisés d’appels et d’envoi de messages SMS/MMS. Lorsqu’il bloque des appels, il est souhaitable que l’opérateur en informe de manière concomitante l’opérateur étant à l’origine des appels bloqués.

En outre, l’Autorité invite les opérateurs à la tenir informée régulièrement des actions de filtrage qu’ils mettent en œuvre suivant sa recommandation, des volumes d’appels filtrés et de leur origine. »

Plan de numérotation – § 2.3.3. h) Protection contre les appels émis par des systèmes automatisés

« Par dérogation aux conditions particulières du paragraphe 2.3.2 e), les numéros géographiques peuvent être utilisés comme identifiant de l’appelant présenté à l’appelé pour des appels ou des messages émis par des « systèmes automatisés d’appels et d’envoi de messages SMS/MMS » jusqu’au 31 décembre 2020. »

Plan de numérotation – § 2.3.7. h) Protection contre les appels émis par des systèmes automatisés

« Par dérogation aux conditions particulières du paragraphe 2.3.2 e), les numéros polyvalents peuvent être utilisés comme identifiant de l’appelant présenté à l’appelé pour des appels ou des messages émis par des « systèmes automatisés d’appels et d’envoi de messages SMS/MMS » jusqu’au 31 décembre 2020. »

2        Les motivations de l’annulation

2.1       Annulation des dispositions concernant les appels automatisés

« 14. Si les dispositions précitées des articles L. 36-7 et L. 44 du code des postes et des communications électroniques donnent compétence à l’ARCEP pour établir le plan national de numérotation, qui précise les conditions d’utilisation des ressources attribuées, notamment le type de services auquel l’utilisation est réservée et les prescriptions nécessaires pour assurer la bonne utilisation de ces ressources, le législateur a limité cette compétence par les dispositions de l’article L. 221-17 du code de la consommation, qui confient aux seuls ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique le soin de définir par voie réglementaire les tranches de numéros qui ne peuvent être utilisées comme identifiant d’appel par un professionnel qui joint un consommateur dans le cadre d’un démarchage téléphonique.

16. Ces dispositions visent tous les appels qui utilisent des appareils comportant un numéroteur d’appel composant automatiquement des numéros de téléphone. Elles ont pour objet d’interdire aux professionnels qui emploient de tels dispositifs pour joindre des consommateurs l’utilisation de certaines tranches de numéros comme identifiant d’appel. Il résulte de ce qui a été dit au point 14 qu’elles relevaient, en application des dispositions de l’article L. 221-17 du code de la consommation, qui n’ont pas été modifiées depuis la décision du 24 juillet 2018, de la seule compétence des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique. »

2.2       Annulation de dispositions relevant de la condition de territorialité

« 21. Il résulte des dispositions citées au point 20, éclairées par leurs travaux préparatoires, que l’obligation d’empêcher l’émission et d’interrompre l’acheminement des appels et messages provenant de territoires situés en dehors de l’Union européenne et présentant un identifiant issu du plan national de numérotation, énoncée par le VI de l’article L. 44 du code des postes et des communications électroniques, est destinée à s’appliquer dans l’attente de la mise en place, par les opérateurs de communications électroniques, d’un mécanisme N° 434538 – 9 – interopérable d’authentification des appels, qui leur permettra de mettre en œuvre les obligations d’authentification fixées par le V du même article à compter du 25 juillet 2023. Le législateur a entendu, par ces dispositions successives, fixer entièrement le cadre des restrictions liées à la provenance des appels et messages utilisant un numéro du plan national de numérotation comme identifiant de l’appelant, puis celui des obligations des opérateurs de communications électroniques applicables à l’authentification de cet identifiant, en n’habilitant l’ARCEP à prendre des mesures d’application en la matière que dans les limites qu’il a définies. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que les dispositions du b) du paragraphe 2.2.2 de l’annexe 1 à la décision du 24 juillet 2018, qui interdisent l’utilisation pour les appels provenant de l’international, des numéros géographiques et polyvalents non authentifiés, méconnaissent les dispositions précitées de l’article 44 du code des postes et des communications électroniques issues de l’article 10 de la loi du 24 juillet 2020 et à demander en conséquence l’annulation du refus de les abroger. »

3        Quelles vont être les conséquences de ces annulations ?

3.1       Conséquences sur les obligations relevant de la condition de territorialité

Ces conséquences vont être très faibles, étant donné que les dispositions en question avaient été reprises par la loi Naegelen. L’ARCEP savait qu’elle aurait à mettre à jour sa décision. Elle avait différé cette mise à jour en raison d’imperfections de la loi Naegelen, reconnues par l’auteur de cette loi, à travers des amendements déposés par ce député à sa propre loi, en accord avec le gouvernement, l’ARCEP et les opérateurs, amendements non encore votés faute d’avoir identifié un véhicule législatif qui pourrait les porter sans être qualifié de cavalier législatif. Sur ce point, le Conseil d’Etat enfonce une porte ouverte.

3.2       Conséquences sur les obligations s’appliquant aux systèmes automatisés

Il s’agit du cœur de l’arrêt du Conseil d’Etat. Selon les plaignants, la définition retenue par l’ARCEP des systèmes automatisés était trop large. Ce qui était visé à tort par l’ARCEP, c’étaient les systèmes de numérotation prédictive, qui consistent, pour un centre d’appels, à appeler des prospects avant qu’un agent soit disponible pour leur parler, sachant que, statistiquement, entre la composition du numéro et le décroché par l’appelé, un agent du centre d’appels se sera libéré dans l’immense majorité des cas. On pourrait arguer que ce n’est pas la numérotation prédictive qui devrait être interdite, mais ses excès, notamment quand l’appelé attend plus de trois secondes après avoir décroché qu’un être humain se libère côté appelant pour lui parler, ou, pire, quand le système prend un être humain pour un répondeur et lui raccroche au nez, plutôt que de le transférer à un agent du centre d’appels. Il y a aujourd’hui des systèmes qui permettent de détecter et donc de prévenir de tels dérèglements des systèmes de numérotation prédictive, mais l’arrêt du Conseil d’Etat n’a pas abordé cette question, cruciale pour le bien-être de l’appelé.

3.3       Conséquences sur la coopération entre l’ARCEP et la DGCCRF

Le Conseil d’Etat n’est pas entré dans le fond du bien-fondé ou non de la mesure prise par l’ARCEP ; il s’en est tenu à la répartition des compétences entre les administrations. Sur ce point, l’analyse du Conseil d’Etat n’a pas été complète. En effet, le Conseil a ignoré le 5° alinéa du II de l’article L.32-1 du Code des Postes et des Communications Electroniques, qui stipule :

« II. – Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre les objectifs suivants :

(…)

La protection des consommateurs, conjointement avec le ministre chargé de la consommation, (…) »

De plus, on peut s’étonner que le Conseil donne en la matière une compétence exclusive au ministre en charge de la consommation, quand l’article L. 34-5 du Code des postes et des communications électroniques, que l’ARCEP est chargée de faire respecter, constitue une disposition s’appliquant aux utilisateurs de systèmes automatisés : « Est interdite la prospection directe au moyen de système automatisé de communications électroniques au sens du 6° de l’article L. 32, d’un télécopieur ou de courriers électroniques utilisant les coordonnées d’une personne physique, abonné ou utilisateur, qui n’a pas exprimé préalablement son consentement à recevoir des prospections directes par ce moyen. »

Enfin, alors que le Conseil européen propose, dans sa version du projet de règlement européen e-privacy, que : « Member States may require natural or legal person using electronic communications services for the purposes of placing direct marketing calls to present a specific code or prefix identifying the fact that the call is a direct marketing call », si ce projet était adopté et que la France voulait suivre cette voix, imaginerait-on que la décision en question soit prise au titre de « la seule compétence des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique », c’est-à-dire sans en référer à l’ARCEP qui gère le plan de numérotation ?

3.4       Qu’est-ce qu’une mesure prise conjointement par plusieurs administrations ?

Pour plusieurs fonctionnaires d’administrations centrales interrogées à ce sujet, une mesure prise conjointement n’est signée que par une administration, pourvu que celle-ci ait soumis son projet par courrier aux autres administrations concernées. A cette version minimale de la décision conjointe s’oppose le point de vue de la Cour Administrative d’Appel de Nancy (3ème chambre – formation à 3, 12 novembre 2009, 09NC00398), qui écrit que : « contrairement à ce que soutient le ministre, ces dispositions n’impliquent pas simplement que chacune de ces autorités consulte l’autre lorsqu’elle prend une décision à ce titre mais que le premier président de la cour d’appel et le procureur général près la cour d’appel prennent conjointement ces décisions, cette compétence conjointe étant attestée par leur signature personnelle, sauf pour eux à déléguer celle-ci à un même magistrat ou fonctionnaire de catégorie A ; »

4        Conclusion

La lutte contre les appels de démarchage illicites ou inutilement importuns appelle une coopération renforcée entre l’ensemble des acteurs privés et publics concernés. Côté public, des décisions authentiquement conjointes entre le ministre en charge de la consommation, le ministre en charge des communications électroniques et l’ARCEP seraient plus efficaces que la rigide séparation des rôles prônée par le Conseil d’Etat.

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