Coriolis, un opérateur virtuel, aura accès à une offre de fibre activée d’Orange en Bretagne, si aucun concurrent d’Orange ne propose une telle offre d’ici avril 2019

Coriolis, un opérateur virtuel, aura accès à une offre de fibre activée d’Orange en Bretagne, si aucun concurrent d’Orange ne propose une telle offre d’ici avril 2019

29 janvier 2019 : l’ARCEP publie un règlement de différend entre Coriolis et Mégalis/THD Bretagne

Un des rôles de l’ARCEP, régulateur des télécoms en France, est de régler les litiges entre opérateurs en France, relatifs à l’accès de gros et à l’interconnexion. Le règlement de différend est assimilé à une décision de justice de première instance. La directive européenne Accès précise que le régulateur doit, une fois saisi, rendre sa décision au fond sous quatre mois. A la différence des régulateurs britannique, allemand ou néerlandais, les décisions de règlement de différend de l’ARCEP sont très peu nombreuses et très respectées.

Le 29 janvier 2019, l’ARCEP a publié la version non confidentielle du règlement, rendu le 11 décembre 2018, d’un différend entre Coriolis d’une part et Mégalis / THD Bretagne de l’autre. Ce règlement impose à Mégalis et THD Bretagne de faire sous quatre mois, c’est-à-dire avant le 11 avril 2019, une offre de gros activée d’accès à la fibre FttH en Bretagne, dans des conditions tarifaires définies en 2015 par des lignes directrices de l’ARCEP et ce, à condition qu’aucun concurrent d’Orange sur le marché de gros de l’accès FttH en Bretagne n’ait publié une telle offre.

Coriolis, un opérateur virtuel mobile et fixe

Coriolis est issue des activités d’une société de commercialisation de services mobiles. Devenue indépendante de Vodafone en 1999, Coriolis a développé une activité d’opérateur mobile virtuel depuis 2006, c’est-à-dire que Coriolis met en œuvre ses propres commutateurs mobiles, en louant l’accès radio à Orange, SFR ou Bouygues Telecom. En 2012, Coriolis réagit à l’entrée d’Iliad sur le marché mobile en devenant un revendeur d’accès fixe DSL, puis en 2015, d’accès FttH. Coriolis dessert aussi bien la clientèle résidentielle que les entreprises.

Mégalis et THD Bretagne : maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre du Très Haut Débit en Bretagne

Les collectivités locales de Bretagne compétentes en télécoms se sont regroupées depuis 1998 au sein du syndicat mixte Mégalis, d’abord pour assurer la couverture de la Bretagne en haut débit DSL, puis, à partir de 2015, pour y développer l’accès FttH dans l’ensemble de la région, hors des grandes villes.


Figure 1 : le territoire que Mégalis promet de desservir en fibre jusqu’à l’abonné (source : Mégalis)

Pour la fibre, Mégalis Bretagne s’est tourné vers France Télécom, devenu Orange. Après les 300 millions d’euros du projet DSL, c’est un budget total de 2 milliards d’euros que Mégalis entend mobiliser d’ici 2030, date prévue de l’achèvement du déploiement du FtH en Bretagne. En 2018, la fibre était accessible à 70 000 locaux résidentiels ou professionnels (voir figure 2), auxquels s’ajouteront 170 000 accès supplémentaires en 2020, 400 000 en 2023 et 600 000 accès FttH supplémentaires en 2030.

Figure 2 : les déploiements FttH en Bretagne au 30 septembre 2018 (source : ARCEP)

THD Bretagne versera une redevance d’affermage à Mégalis. Selon les hypothèses, le flux net perçu par Mégalis (non actualisé, hors déduction de la subvention publique pour raccordement d’un montant de 71 M€) est de 140,3 M€ sur les dix-sept ans de la délégation de service public. Une clause de retour à meilleure fortune est prévue sur la performance au-delà des prévisions du plan d’affaires. La figure 3 ci-dessous reflète la chronique du flux financier net en faveur de Mégalis Bretagne (représenté par la courbe jaune) et précise la valeur actuelle nette au taux de 4% de ce flux.

Figure 3 : Redevances payées à Mégalis et subventions à THD Bretagne (source : AVICCA)

Rappel des grandes lignes de la régulation de la fibre en France

La régulation de la fibre en France distingue trois zones :

  • La zone très dense (ZTD), soit le cœur d’agglomération des 120 communes le plus denses de France, dans laquelle n’est mutualisé que le câblage interne aux immeubles de plus de 12 logements et les fourreaux dans lesquels les opérateurs passent leurs câbles optiques sous les rues,
  • La zone d’appel à manifestation d’intention d’investissement (zone AMII), dans laquelle il n’y a qu’un réseau, de financement privé, dont le coût est partagé entre les opérateurs selon une logique de co-investissement ;
  • La zone des réseaux d’initiative publique (zone RIP), dans laquelle il n’y aurait pas de déploiement de fibre sans subvention aux opérateurs.

La région Bretagne, en dehors de ses principales agglomérations, fait partie de la zone RIP.

Réseaux d’Initiative Publique : issus d’opérateurs intégrés ou spécialisés en offres de gros

En raison de la subvention publique qu’ils reçoivent, les réseaux d’initiative publique sont dès leur construction propriété de la collectivité locale délégante (ici, de Mégalis). La collectivité délègue la construction et l’exploitation du réseau pendant les 15 à 30 ans de la délégation.

Cela dit, les délégataires de service public de fibre FttH appartiennent à deux familles d’entreprise au profil et à la stratégie bien différents :

  • Les sociétés Orange et SFR, quand elles sont délégataires de service public de fibre FttH, n’oublient pas qu’elles sont également opérateurs intégrés fixes et mobiles sur le marché de détail. Ainsi, elles ont tendance à ne proposer que des offres de gros d’accès passif. A chaque opérateur client de se procurer un réseau de collecte entre leur point de présence régional et les nœuds de répartition optique.
  • Au contraire, les autres délégataires (Altitude Infrastructure, Axione, Covage, TDF, pour ne citer que les plus connus) sont des sociétés qui ne s’adressent qu’au marché de gros, et qui sont beaucoup plus prêtes à proposer des offres de gros activées, car elles n’ont rien à perdre sur le marché de détail.

C’est ainsi que Coriolis, qui est en mesure d’acheter des offres de gros activées d’accès fibre aux délégataires de RIP de la seconde catégorie, s’est heurtée au refus d’Orange, maison-mère de THD Bretagne, de lui faire une offre de gros activée, livrable en un seul point sur le territoire national.

Par son refus, THD Bretagne cherchait à reproduire en zone RIP la logique de barrière à l’entrée qui est la règle en zone AMII. En effet, le co-investissement n’y est ouvert qu’aux opérateurs qui construisent ou louent leur réseau de collecte (du point de présence régional aux nœuds de répartition optique) et qui achètent un droit d’usage pour un minimum de 5% des prises de la zone desservie.

Le gouvernement pris en tenaille entre l’ARCEP et le Sénat

La principale disposition sur laquelle s’est appuyée l’ARCEP dans son règlement de différend du 11 décembre a été introduite dans le loi ELAN publiée au Journal Officiel du 24 novembre 2018. Cet ajout à l’article L. 1425-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, introduit à la demande du sénateur Les Républicains de l’Ain, monsieur Pierre Chaize, contre l’avis du gouvernement, stipule : « VII.- Lorsqu’une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final est établie ou exploitée en application du présent article, qu’elle a bénéficié de subventions publiques dans les conditions fixées au IV, et qu’aucun opérateur ne commercialise d’accès activé à cette ligne, l’opérateur exploitant cette ligne fait droit aux demandes raisonnables d’accès activé à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d’opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final. 
« L’accès fait l’objet d’une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l’accès. Elle est communiquée à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande. 
« Les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution de la convention prévue au présent VII sont soumis à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques. »

Cette disposition, qui favorise les opérateurs virtuels ou opérateurs commerciaux, reprend une idée que l’ARCEP avait glissée en décembre 2015 dans ses lignes directrices sur la tarification des offres de gros à très haut débit : « Afin d’assurer la proportionnalité de la mesure d’aide, les RIP doivent donc prévoir, en accord avec les collectivités territoriales, un catalogue d’offres permettant de garantir l’effectivité de l’accès en gros des opérateurs et le renforcement de la concurrence. Le cas échéant, ils peuvent être en mesure de proposer des catalogues d’offres de gros plus larges que les opérateurs en zone d’initiative privée, si nécessaire en proposant, par exemple, des offres d’accès activés ».

Un chemin étroit pour l’ARCEP entre la promotion de la concurrence et la promotion de l’investissement

Toutefois, l‘ARCEP est consciente de la perturbation du comportement des opérateurs investisseurs introduite par sa décision du 11 décembre. Si les conditions pour louer à l’unité une offre de gros activée sont trop favorables, pourquoi les SFR, Bouygues Telecom et Iliad iraient louer des liaisons fibre optique de leur point de présence régional jusqu’aux nœuds de répartition optique d’Orange et s’encombrer ainsi de coûts fixes sur longue période ? C’est pourquoi l’ARCEP ajoute à l’obligation pour THD Bretagne d’offrir un accès activé à Coriolis une condition restrictive : qu’aucun autre opérateur ne propose une offre comparable sur le territoire desservi par THD Bretagne.

Questions encore ouvertes

La régulation des télécoms est une éternelle partie d’échecs. Chaque décision s’ajoute aux précédentes pour contribuer à définir les règles du jeu qui pèseront sur le comportement à venir de chaque acteur. Examinons pour finir les questions laissées ouvertes par la récente décision de règlement de différend de l’ARCEP.

Quel prix Orange peut-il proposer à Coriolis ?

Il existe deux façons d’aborder cette question : suivre les lignes directrices de décembre 2015 pourrait donner un prix de gros de 17,70 € HT par mois. Mais l’exemple fourni par les RIP offrant spontanément des offres de gros activées pourrait conduire à un tarif légèrement plus élevé (de 19 à 22 € HT par accès et par mois). Cela dit, le diable est dans le détail. Orange est tout à fait capable d’ajouter des clauses de volume minimal pour assurer un tarif intéressant. Il est probable que l’ARCEP aura à se pencher attentivement sur la proposition d’Orange.

Quelle place sera réellement offerte aux opérateurs acheteurs de l’offre activée en Bretagne ?

Si l’offre activée est trop favorable, les petits opérateurs seront très actifs et les gros (SFR, Bouygues Telecom et Iliad) pourraient être tenter de renoncer à activer eux-mêmes la fibre en Bretagne. La concurrence serait alors purement commerciale et les offres risqueraient de se ressembler beaucoup.

Bouygues Telecom aura-t-il recours à la liaison LFO d’Orange ?

Bouygues Telecom est indiquée dans la décision comme sur le point de souscrire aux offres de gros d’accès passif de THD Bretagne. Dans une région où il n’y a pas d’offre de collecte en fibre noire autre que la LFO (Liaison Fibre Optique) d’Orange, Bouygues Telecom aurait a minima intérêt à attendre de connaître les conditions de l’offre activée avant de confirmer son engagement à souscrire l’offre d’accès passif.

Bouygues Telecom dispensera-t-il Orange d’avoir à faire une offre activée en Bretagne ?

Bouygues Telecom pourrait théoriquement faire une offre activée à Coriolis, pour étaler les coûts fixes de son réseau régional de collecte. Cependant, s’il le faisait, ouvrirait-elle la porte à Iliad ou à SFR ? S’il y a eu des co-investissements dans le passé entre ces deux acteurs, il n’est pas sûr qu’un tel co-investissement ait des chances aujourd’hui de se faire.

Orange va-t-elle retirer son offre de gros activée si un concurrent en fait une ?

Si un autre acteur décidait, d’ici un an ou deux par exemple, de fournir une offre de gros activée sur le territoire de THD Bretagne, que deviendrait alors l’offre qu’Orange est sommée de proposer à partir du 11 avril 2019 ? Il n’est pas simple de changer un réseau passif de collecte. Les liaisons installées conformément à cette offre seraient-elles pérennisées ? l’offre serait-elle gelée à sa base installée au moment de l’apparition de l’offre de gros concurrente ? les conditions du basculement impliqué par l’ARCEP mériteraient d’être clarifiées.

Quel sera l’impact de cette décision sur les lignes directrices du BEREC relatives à la fibre ?

Enfin, le BEREC, organe commun des régulateurs européens des télécoms, doit élaborer, en 2019 et 2020, des lignes directrices sur la régulation de la fibre et sur les conditions dans lesquelles la fibre ne doit pas être régulée. Le cas extrêmement subtil de la dernière décision de l’ARCP sera difficile à expliquer aux autres régulateurs européens, souvent partisans d’une régulation beaucoup plus brutale.

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