16 Avr L’Ofcom veut restaurer la confiance dans les numéros de téléphone grâce à une base commune des numéros
Le régulateur britannique des télécoms, l’Ofcom, a publié le 11 avril 2019 trois consultations publiques, ouvertes jusqu’au 6 juin prochain, sur l’avenir de la téléphonie au Royaume-Uni, pour :
- Promouvoir la confiance dans les numéros de téléphone,
- Faire évoluer le plan de numérotation téléphonique,
- Réfléchir à l’avenir de l’interconnexion et de la terminaison d’appel.
Nous reviendrons sur la numérotation et l’interconnexion dans des posts ultérieurs et nous concentrerons aujourd’hui sur la confiance dans les numéros de téléphone.
Ce que propose l’Ofcom : une base commune des numéros de téléphone
La proposition centrale de l’Ofcom est de créer une base commune des numéros pour s’assurer qu’un numéro présenté par l’appelant à l’appelé est authentique. Le but de l’Ofcom est de réduire le nombre d’appels importuns ou frauduleux. La conviction de l’Ofcom est qu’une base commune des numéros est le meilleur moyen d’y parvenir. L’objectif de l’Ofcom est que cette base soit mise en service en 2022, date à laquelle la majorité des appels entre numéros fixes devrait être en voix sur IP. Cette base servirait aussi à supporter des protocoles plus efficaces pour la portabilité des numéros et un routage plus efficace des numéros portés. L’Ofcom pense que c’est à l’industrie de mettre en œuvre une telle base.
Un pays sans système commun de gestion de la portabilité des numéros, où la voix sur IP et l’interconnexion IP sont peu développées
Contrairement à la plupart des pays d’Europe continentale et aux Etats-Unis, le Royaume-Uni n’a toujours pas mis en place de routage direct vers l’opérateur exploitant des appels aux numéros portés. De même, la dernière analyse, qui date de 2017, des marchés de la voix par l’Ofcom maintient le TDM comme la technologie de référence de l’interconnexion de BT. Enfin, tout utilisateur d’une paire de cuivre de BT, même s’il est client pour l’accès à l’internet d’un opérateur dégroupeur, achète sa téléphonie fixe à BT, à travers un contrat de VGA (entre en gros de l’abonnement au service téléphonique) souscrit par son fournisseur d’accès à l’internet.
Or dans la plupart des pays, la livraison du trafic d’interconnexion selon la technologie pertinente, qui implique un routage des appels nationaux numéro par numéro et non par bloc de 10 000 numéros, s’appuie sur le système de routage, numéro par numéro également, des appels vers les numéros portés.
S’il était possible de router les appels vers les numéros portés via l’opérateur attributaire du numéro, router les appels vers les numéros en voix sur IP à travers les commutateurs TDM que l’on cherche à retirer du service n’est pas une solution. Le routage direct des appels vers l’opérateur exploitant le numéro porté ou vers le commutateur IP sur lequel le client a été migré peut se faire sans base commune des numéros, mais il est tout de même beaucoup plus simple d’en organiser une quand il y a 285 opérateurs fixes et 67 opérateurs mobiles dont la charge de terminaison d’appel est régulée.
Comment rattraper un retard avec des mesures d’avant-garde
L’Ofcom aurait pu s’en tenir à imposer pour 2022 ce que la Cour d’Appel de la Concurrence, sur plainte des opérateurs mobiles pour justification économique insuffisante, lui avaient refusé en 2008, à savoir une base de routage des numéros portés d’une part et migrés vers IP de l’autre.
La solution proposée par l’Ofcom en matière de base commune des numéros, innove au plan fonctionnel (par l’authentification des numéros) comme au plan technique (en envisageant un registre décentralisé sécurisé par blockchain. Constatant l’incapacité actuelle des opérateurs à vérifier si l’appelant a le droit de présenter tel ou tel numéro, l’Ofcom reprend les conclusions du NICC, l’organisme de normalisation des télécommunications britanniques, et préconise de créer une base de données de tous les numéros (géographiques, non-géographiques et mobiles) alloués à ou portés chez chaque opérateur.
A terme, cette base commune des numéros devrait être complétée par la mise en œuvre du nouveau standard de l’IETF, STIR, Secure Telephone Identity Revisited. La base permettra de montrer qu’un numéro peut être légitimement présenté par un opérateur. STIR, qui incorporera la consultation de certificats de sécurité attachés à chaque numéro émanant de chaque tronc SIP, permettra de montrer de bout en bout si chaque numéro présenté lors de chaque appel est légitime.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de la base commune des numéros, l’Ofcom expérimente la technologie de la blockchain. Entre 285 opérateurs fixes et 67 opérateurs mobiles, est-ce réaliste ? S’il n’y a qu’un échange de fichiers par jour entre tous les opérateurs, c’est probable. En revanche, si les exigences de non-interruption de service en cas de portage ou de migration de numéro deviennent plus fortes, et que chaque portage ou migration d’un numéro donne lieu à une transaction sous Blockchain il n’est pas certain que la technologie de la Blockchain soutienne la charge requise.
Au-delà de la restauration de la confiance dans le numéro de téléphone, l’Ofcom note dans sa conclusion qu’une base commune des numéros est une nécessité pour offrir de nouveaux services. Verrons-nous ainsi ressurgir une base e-Num ?
Une grande absente de la consultation : la gouvernance
Toute constitution d’un bien commun à tous les opérateurs d’un pays demande un travail extrêmement lourd d’élaboration et de mise au point de la gouvernance de ce bien commun. Le bien commun, c’est la fonction, le routage direct de numéros authentifiés. Que la mise en œuvre soit une base de données centralisée classique ou un registre décentralisé sécurisé par Blockchain ne change rien à la complexité de la question de la gouvernance : comment sont constituées les instances dirigeantes (assemblée générale, conseil d’administration, bureau) ? Quels sont les statuts ? Quel règlement intérieur s’impose à tous ? Comment les dépenses communes sont-elles partagées ? Autant de question pour lesquelles l’industrie britannique des télécoms n’a pas d’expérience et pour lesquelles les trois ans qui nous séparent de 2022 ne seront pas de trop.
Quelles leçons l’ARCEP pourrait-elle en tirer ?
En 2018, par sa décision n°18-0881, l’ARCEP a fait un pas vers l’authentification du numéro de téléphone : « l’Autorité recommande aux opérateurs qui proposent des offres permettant aux clients de choisir comme identifiant d’appelant ou d’émetteur un numéro français différent de celui qu’il lui a affecté pour sa ligne téléphonique :
- de s’assurer, contractuellement et techniquement, que l’utilisation du numéro choisi en tant qu’identifiant d’appelant ou d’émetteur par un utilisateur final a bien été préalablement autorisée par l’affectataire ;
- d’être en mesure, contractuellement et techniquement, d’exiger à tout moment de l’utilisateur final appelant qu’il dispose toujours de l’autorisation de l’affectataire du numéro pour l’utiliser en tant qu’identifiant d’appelant ou d’émetteur ;
- d’être en mesure, contractuellement et techniquement, de suspendre sans délai le service permettant la modification de l’identifiant d’appelant ou d’émetteur aux utilisateurs finals qui ne respecteraient pas les conditions d’utilisation et, le cas échéant, de territorialité.
Ces recommandations poursuivent un objectif de bonne utilisation des numéros et de protection des consommateurs contre d’éventuels abus. »
L’ARCEP ajoute même : « Afin que ces règles soient appliquées de manière efficace pour protéger les consommateurs, il apparaît raisonnable que des mesures soient mises en œuvre de manière très rapide, voire en temps réel, par les opérateurs sur les réseaux sur lesquels transitent les flux d’appels ».
Mais l’ARCEP ne va pas plus loin. Elle ne demande pas aux opérateurs de centraliser dans une base de données les numéros présentés par un tiers. Elle n’exige pas non plus de temps de réponse pour ces vérifications. Or toute demande administrative reçoit une réponse en plusieurs jours, quand les campagnes de prospection génèrent des millions de tentatives d’appel en quelques heures. Il serait souhaitable que l’ARCEP s’inspire de l’Ofcom et assure une réelle mise en œuvre à ses fort légitimes recommandations.