03 Avr Publication du Livre Blanc « Droits de passage télécoms pour les collectivités territoriales »
Le 28 mars 2019, au cours d’un colloque de la Mission Ecoter, a été présenté le Livre Blanc « Droits de passage télécoms pour les collectivités territoriales », réalisé par les cabinets Strategic Scout et Parme Avocats pour la Banque des Territoires, filiale de la caisse des Dépôts.
Pourquoi ce Livre Blanc ?
En France, malgré un cadre législatif assez simple, le traitement des droits de passage est complexe et hétérogène. Il est source d’insécurité juridique pour les opérateurs de communications électroniques mais également pour les collectivités territoriales.
Cette complexité est d’abord administrative, compte tenu de l’implication de nombreuses collectivités gestionnaires des domaines concernés, lesquelles ne disposent pas toujours des moyens et d’un niveau de savoir-faire adéquat. Elle est ensuite financière, compte tenu de l’importante disparité tarifaire existante entre typologies de domaine public mais également entre gestionnaires. Elle est enfin technique au regard des différentes strates concernées par les droits de passage :
- Droits de passage sur ou sous le domaine public, routier ou non routier, sur ou sous le domaine privé, pour l’implantation d’infrastructures d’accueil (fourreaux, appuis aériens, chambres, locaux techniques) accueillant des équipements passifs (câbles optiques, protection d’épissures optiques, etc.) de communications électroniques ;
- Droits de passage dans les infrastructures et réseaux publics pour l’implantation d’équipements passifs de réseaux de communications électroniques.
Aujourd’hui, la complexité de la gestion des droits de passage télécom est un obstacle au déploiement intégral du très haut débit sur le territoire d’ici 2022 et à la couverture en 4G des zones blanches grâce au New Deal mobile.
L’objectif du Livre Blanc est de mettre à disposition des collectivités une synthèse du cadre juridique et des enjeux liés aux droits de passage pour les réseaux de communications électroniques.
Comment le Livre Blanc a-t-il été accueilli par les collectivités ?
La Mission Ecoter avait réuni collectivités, syndicats mixtes, opérateurs de communication électronique ainsi que le responsable du Code des Postes et Communications Electroniques au sein de la Direction Générale des Entreprises.
Gilles Quinquenel, président de la communauté d’agglomération de Saint-Lô, maire de Thereval, a indiqué d’emblée qu’autour de lui la redevance n’était pas intégralement appelée, faute d’une gestion suffisamment rigoureuse des permissions de voirie accordées aux opérateurs, permissions que les petites communes n’ont pas les moyens de gérer. Pour Gilles Quinquenel propose, pour généraliser les bonnes pratiques, d’ajouter au Plan Local d’Urbanisme une annexe consacrée aux infrastructures de télécommunications.
Dominique Leroy, directeur général de Seine-et-Marne Numérique, le syndicat mixte qui déploie le Très haut Débit dans ce département à la fois urbain et rural de l’Ile-de-France, a présenté le service de gestion de la redevance d’occupation du domaine public géré par le syndicat pour le compte des communes. Il en a aussi montré l’enjeu : une permission de voirie étant un droit d’occupation précaire du domaine public, bien gérer l’obtention et le renouvellement au bout de quinze ans de ses permissions de voirie est une nécessité pour le syndicat, comme pour un opérateur, s’il veut pérenniser la propriété de son réseau.
Sylvain Barse, pour le SIPPEREC, le syndicat mixte en charge de l’électricité et des communications électroniques pour les communes de la petite couronne parisienne, a fait part de son long combat avec les communes pour obtenir que les permissions de voirie soient gérées au format PDF et non papier.
Mireille Bonnin, pour la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), aide les collectivités à rédiger leurs permissions de voirie et appelle à la création d’une plateforme centralisatrice, fondée sur le guichet unique géré par l’INERIS, Institut national de l’environnement industriel et des risques, pour les demandes de financement par l’Etat des réseaux THD d’initiative publique.
Les opérateurs ont également partagé le constat de la maîtrise insuffisante du sujet par les petites communes. Guy Nouvet, pour Orange, a appelé à la recherche en commun, entre opérateurs et collectivités, des possibilités de co-investissement introduites par l’article L34-8-2-1 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE), une des mesures prises en transcription de la directive européenne n° 2014/61/UE visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques (dite directive e-cost).
Olivier Cauvin, pour CenturyLink (ex-Level3) a souligné les spécificités de la gestion française des droits de passage en Europe : émiettement du domaine public entre de multiples gestionnaires (communes, groupement de communes, départements, Etat, établissements publics), extrême variabilité des tarifs pour le domaine public non-routier en comparaison du domaine privé de ces gestionnaires. Démonstration éclatante des limites du mille-feuilles administratif.
Le point de vue du ministère
Jean-Pierre Labé, chef du bureau de la réglementation des communications électroniques à la Direction Générale des Entreprises, a malicieusement souligné que le cadre législatif est en constante évolution. L’évolution des articles L. 49 et R.20-51 du CPCE en 2016 transcrivait la directive e-cost. Le Livre Blanc, qui date d’octobre 2018, a été rendu treize fois caduc par la loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), dont le chapitre VII s’intitule « Simplifier le déploiement des réseaux de communications électroniques à très haute capacité ». Jean-Pierre Labé annonce également de nouveaux changements à venir avec la transcription en droit français du Code Européen des Communications Electroniques, notamment pour faciliter le déploiement de la 5G.
Le New Deal Mobile introduira 10 000 pylônes nouveaux. La France est 26ème sur 27 en réseaux 4G en Europe. Il faut 2 ans pour construire un pylône en France là où il faut 6 mois dans les autres pays européens. L’avis des architectes des Bâtiments de France (ABF) peut prendre plusieurs années. Le code de la propriété intellectuelle a changé : l’avis des ABF est un avis simple et non plus un avis conforme. La limite de 12 mètres pour les permis de construire les pylônes, au lieu des déclarations préalables, a été supprimée, sauf pour les installations de plus de 20 m2. Les communications électroniques sont exonérées de la mise en concurrence pour les travaux. La possibilité pour un maire de retirer une autorisation illégale d’un pylône a été suspendue jusqu’en 2022. On a changé aussi les servitudes (article L.48 du CPCE). Pour la construction en continuité d’urbanisation, on a obtenu une dérogation jusqu’en 2022. On a un peu modifié la loi Abeille. Au lieu de 2 mois, ce n’est plus qu’un mois de délai. Pour changer la technologie d’un pylône, c’est une information du maire et non plus une autorisation qui est demandée. Pour les marchés de conception et de réalisation, on n’est plus obligé de distinguer les deux prestations jusqu’en 2022. Il y aussi des changements concernant les câbles sous-marins. L’arrêté guichet unique a été modifié pour le rendre conforme à l’article L. 49 du CPCE. Les opérateurs paient pour accéder à ces informations. En revanche, conclut Jean-Pierre Labé, pour l’homogénéisation des redevances, nous n’avons pas été saisi au plan politique.
Une suggestion pour la version 2 du Livre Blanc : rappeler comment s’applique la logique économique et celle du droit administratif aux tarifs et aux-plafonds de la redevance
Le Livre Blanc aborde un sujet passionnant, au plan technique et au plan juridique. Sa nécessaire mise à jour peut être l’occasion de rappeler selon quelle logique ont été déterminés le tarif, en ce qui concerne le domaine public routier, et le plafond, pour le domaine non-routier, de la redevance d’occupation de ce domaine à titre privatif.
S’agissant du domaine public routier, le 28 octobre 1997, M. Christian Pierret, secrétaire d’Etat à l’industrie, déclarait au Sénat : « S’agissant de la redevance maximale annuelle relative à l’occupation du domaine public routier – routes nationales, départementales et communales – versée au gestionnaire ou au concessionnaire du domaine occupé, le montant de 1 franc par mètre, envisagé lors de l’élaboration du projet de décret relatif aux droits de passage sur le domaine public routier et aux servitudes prévus par les articles L. 47 et L. 48 du code des postes et télécommunications, avait été retenu de manière à correspondre, pour le réseau existant de télécommunications, à un montant global de l’ordre de 150 millions de francs, chiffre qui avait d’ailleurs été avancé devant le Parlement lors de la discussion du projet de loi de réglementation des télécommunications en juillet 1996.
Compte tenu d’une erreur d’évaluation dans les données fournies par France Télécom, en 1996, sur la longueur totale du réseau, une révision du montant par mètre a été nécessaire, en mars 1997, pour ne pas dépasser dans des proportions considérables le montant global que le Gouvernement avait initialement annoncé.
Ce montant a donc finalement été ramené à 150 francs par kilomètre linéaire, permettant d’atteindre toutefois un montant global supérieur à 150 millions de francs – de l’ordre de 250 millions de francs.
Dans le même temps, par rapport à la première version du projet de décret, il a été introduit une disposition selon laquelle les redevances maximales relatives à l’occupation du domaine public routier évoluent, au 1er janvier de chaque année, proportionnellement à l’évolution de l’indice du coût de la construction – c’est une indexation classique – mesuré au cours des douze mois précédant la dernière publication de l’indice connu au 1er janvier. ». A la transcription près du passage à l’euro, c’est toujours selon cette logique qu’est fixée la redevance d’occupation du domaine public routier. En ce qui concerne la redevance d’occupation du domaine public non-routier, la logique du décret de 2005 est l’application d’un principe plus que centenaire du droit administratif français : la tarification de l’occupation à titre privatif du domaine public doit refléter l’avantage procuré à cet occupant. Or « La convention donnant accès au domaine public non routier ne peut contenir de dispositions relatives aux conditions commerciales de l’exploitation. (CPCE article L. 46). L’avantage procuré à l’opérateur occupant le domaine public n’est pas lié à son chiffre d’affaires. Il ne peut donc refléter que l’économie de coûts dont bénéficie cet opérateur, dans la limite des plafonds fixés par le décret.