07 Jan La proposition de loi Naegelen et le démarchage téléphonique
Qu’a voté l’Assemblée ?
Le 6 décembre 2018, l’Assemblée Nationale a voté par 79 voix contre 1 la proposition de loi présentée par le député Christophe Naegelen, relative à l’encadrement du démarchage téléphonique et à la lutte contre les appels frauduleux. Après notre post du 17 décembre consacré à la lutte contre les appels frauduleux, en voici un second, dédié à l’encadrement du démarchage téléphonique.
La nouvelle rédaction de l’article L. 221-16 du Code de la Consommation (CC) ajoute aux obligations existantes de l’agent du centre d’appel de :
- donner son nom (plus de pseudonymes européens pour des employées africains ?),
- donner le nom du donneur d’ordre de la campagne d’appels,
trois obligations nouvelles :
- signaler la nature commerciale de son appel,
- rappeler la possibilité de s’inscrire gratuitement au dispositif Bloctel d’opposition au démarchage téléphonique,
- développer les sigles qu’il emploie.
La nouvelle rédaction de l’article L. 223-1 CC maintient l’opt-out (ou option d’exclusion, en vigueur grâce au dispositif Bloctel) au détriment de l’opt-in (ou option d’inclusion), mais en fait un opt-out strict :
- Le droit pour le professionnel de rappeler le consommateur inscrit sur Bloctel est limité aux sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours, et non plus à l’existence de relations contractuelles préexistantes.
- La vérification par Bloctel des listes de prospection des entreprises doit être faite une fois par mois ; si le professionnel fait moins d’une campagne par mois, cette vérification devra avoir lieu à chaque campagne.
L’article L. 223-1 CC précise également que le professionnel qui fait valider ses listes de prospection par Bloctel devra s’engager à respecter une charte de bonne conduite, mais il faut se référer aux comptes-rendus des débat parlementaires pour comprendre que cette charte doit être élaborée par le Comité National de la Consommation.
Le plafond des amendes administratives strictement liées au démarchage téléphonique ou par tout moyen de communication électronique est multiplié par 25, atteignant 375 000 € pour une entreprise, alors que le plafond des autres amendes liées à la vente à distance à un consommateur reste inchangé. Les sanctions spécifiques à une non-utilisation ou à une mauvaise utilisation de Bloctel peuvent en outre être publiées au frais de l’entreprise condamnée.
Enfin, le gouvernement devra rendre au Parlement un rapport sur l’efficacité de Bloctel dans les six mois suivant la promulgation de la loi.
Que peut-on dire de l’efficacité de Bloctel ?
Une promotion insuffisante auprès de entreprises, trop peu d’entreprises inscrites, un service trop cher
Le premier type de reproches fait à Bloctel concerne son modèle d’affaires. Bloctel est une délégation de service public qui est légitime à couvrir ses coûts et à faire un profit raisonnable, mais c’est aussi un monopole, dont les tarifs trop élevés dissuadent les entreprises de recourir à ses services. Tout lancement de produit, surtout quand ses coûts sont essentiellement fixes, est un pari sur les quantités vendues selon le prix proposé. Il serait souhaitable que les tarifs de Bloctel soient adoptés après consultation des organisations professionnelles de la vente à distance sur les quantités raisonnablement vendables des services de Bloctel en fonction du caractère raisonnable des tarifs.
Un système de signalements opaque pour le signalant, non couplé avec le système de signalements des abus concernant les SVA et dont les effets ne sont pas rapides
Le second type de reproches souvent entendu à propos de Bloctel porte sur son système de signalements. Si un quart des signalements à Bloctel concerne les SVA, pourquoi ces signalements ne sont-ils pas transmis à l’AFMM, qui gère les signalements concernant les SVA ? Qui exploite les signalements à Bloctel ? Si c’est uniquement la DGCCRF, sa procédure d’enquête administrative dure en moyenne un an. L’expérience des SVA montre qu’il peut être mis fin à beaucoup d’abus en s’adressant directement à l’éditeur du service, via l’opérateur qui lui a fourni son numéro, les enquêtes DGCCRF conservant leur utilité pour les cas les plus graves. On pourrait imaginer de calquer le traitement des signalements à Bloctel sur celui des signalements à l’AFMM, mais ce serait davantage le travail d’une association professionnelle que celui d’une délégation de service public. Enfin, chez Bloctel comme à l’AFMM, les signalants ne sont pas informés des suites données à leur signalement. L’envoi de courriers électroniques ou de SMS à chaque changement d’état du ticket d’incident généré ou alimenté par le signalement pourrait être envisagé.
Et maintenant ?
C’est au tour du Sénat d’examiner cette proposition de loi, avant la deuxième lecture par chacune des assemblées, suivie éventuellement de la commission mixte paritaire. Le chemin est encore long de la proposition à la loi, et le détail du fonctionnement de Bloctel (tarifs, gestion des signalements) nécessite des ajustements qui ne sont pas du domaine de la loi, mais de la régulation ou de la co-régulation. Un beau chantier en perspective pour 2019.